Changer de paradigme : Adopter une approche à l’échelle du campus pour passer de la compétence culturelle à la sécurité culturelle dans le soutien à la santé mentale et au bien-être des étudiants-es internationaux-ales
Cet article fait partie de l'ouvrage plus vaste Educated Solution publié par OUSA.
INTRODUCTION
Il est bien établi que la santé mentale et le bien-être des étudiants internationaux-ales sont bien inférieurs à ceux de leurs homologues nationaux. Bien que de nombreux campus de l’Ontario prennent ce problème au sérieux et adoptent des approches proactives, ce projet est vaste, diversifié et complexe. Comparés aux étudiants-es nationaux-ales, les étudiants-es internationaux-ales ont signalé des niveaux plus élevés d’idées suicidaires, de stress universitaire et de sentiment d’isolement au sein de leur communauté postsecondaire. En outre, comparés aux étudiants-es nationaux-ales, les étudiants-es internationaux-ales sont moins susceptibles de signaler des symptômes de problèmes de santé mentale, ont une plus faible connaissance de la santé mentale et ont des comportements de recherche d’aide peu fréquents . Ces tendances sont dues à la stigmatisation, à la peur du jugement, aux difficultés d’acculturation, aux obstacles à la communication et à la déconnexion sociale. Ces défis peuvent être particulièrement importants au cours de la première moitié d’un diplôme d’études postsecondaires, alors que les étudiants-es sont en train de chercher leur sentiment d’appartenance. En outre, les établissements d’enseignement supérieur ne reconnaissent pas toujours de manière adéquate que l’environnement institutionnel a été conçu pour les étudiants-es nationaux-ales et qu’il peut donc être plus difficile pour les nouveaux arrivants de s’y retrouver.
Les campus s’efforcent déjà de veiller à ce que les étudiants-es internationaux-ales bénéficient d’un soutien adéquat pour s’adapter à la vie au Canada, par exemple en disposant d’un logement sûr, sécurisé et abordable, en ayant accès à une alimentation nutritive et adaptée à leur culture et en créant des espaces pour le renforcement de la communauté et la création de liens. Il est également essentiel que les établissements prennent en compte la sécurité culturelle de leurs campus (y compris, mais sans s’y limiter, les services d’aide aux étudiants-es) et la manière dont cela peut avoir un impact sur la santé mentale et le bien-être des étudiants-es internationaux-ales.
L’intégration de services culturellement inclusifs est une recommandation courante pour résoudre les divers problèmes de santé mentale et d’accessibilité aux services auxquels sont confrontés-es les étudiants-es internationaux-ales1. Les pratiques culturellement sécuritaires peuvent retenir les étudiants-es qui ont demandé de l’aide au départ, améliorer les alliances thérapeutiques et encourager la recherche continue de soutien5. Cette approche est particulièrement importante pour les populations d’ étudiants-es internationaux-ales racialisés-es en raison de la rhétorique xénophobe et raciste rampante à laquelle ils et elles sont confrontés dans la société canadienne et sur leurs campus.
Dans cet article, nous soutiendrons que l’intégration de la sécurité culturelle dans les établissements postsecondaires est cruciale pour améliorer la santé mentale et le bien-être des étudiants-es internationaux-ales. Nous examinerons d’abord le contexte dans lequel la théorie de la sécurité culturelle a vu le jour et ce qui l’a précédée. Ensuite, nous verrons comment cette approche peut être intégrée au niveau individuel et systémique sur le campus. Nous terminerons par une discussion sur les limites de cette approche et par la mise en évidence de certains travaux dans ce domaine et de leurs impacts.
En constante évolution : conscience, humilité, compétence et sécurité
Le terme « sécurité culturelle » a été proposé pour la première fois par le Dr Irihapeti Ramsden et des infirmières Māori de Nouvelle-Zélande dans les années 1990. Au départ, l’objectif de la sensibilisation à cette question était d’améliorer les résultats en matière de santé des populations historiquement et actuellement marginalisées ; essentiellement, de réduire les effets des déterminants sociaux de la santé. Par conséquent, le concept de sécurité culturelle est principalement lié aux environnements de santé et de bien-être, en particulier aux professions de la santé et de la relation d’aide1.
Pour comprendre la sécurité culturelle dans son contexte global, nous devons nous tourner vers le passé pour voir les concepts « culturels » qui l’ont à la fois précédée et influencée. Vous trouverez ci-dessous une brève explication de quelques termes clés. Veuillez noter que les définitions de ces termes sont vastes et varient en fonction de la discipline, du lieu et de l’auteur-e. Pour les besoins de cet article, nous utiliserons les définitions suivantes6 :
- Conscience culturelle : il existe davantage de cultures autres que la mienne.
- Humilité culturelle : ma culture n’est pas la plus précieuse/vraie, ni plus précieuse/vraie que les autres cultures.
- Compétence culturelle : si j’en sais assez sur la culture d’autrui et ses pratiques, je ne causerai pas de tort, ou j’en causerai moins.
- Sécurité culturelle : je dois toujours tenir compte de la dynamique du pouvoir et des facteurs systémiques (par exemple, le colonialisme) inhérents aux interactions interculturelles si j’ai l’intention de ne pas causer de tort ou de causer moins de tort.
Voici une citation de l’International Journal for Equity in Health qui décrit plus en détail la sécurité culturelle dans le contexte de notre article :
La sécurité culturelle… rejette l’idée selon laquelle les prestataires de soins de santé devraient se concentrer sur l’apprentissage des coutumes culturelles des différents groupes ethniques. Au contraire, la sécurité culturelle cherche à améliorer les soins en étant conscient des différences, en décolonisant, en tenant compte des relations de pouvoir, en mettant en œuvre une pratique réflexive et en permettant au patient-e de déterminer si une rencontre clinique est sécuritaire6.
Principes fondamentaux
En outre, les principes fondamentaux de la sécurité culturelle peuvent être résumés comme suit6 :
- Un accent mis sur l’autoréflexion critique et la prise de conscience de la situation sociale.
- L’établissement d’une relation entre le/la client-e et le/la praticien-ne
- L’utilisation d’une optique de justice sociale pour prendre en compte les déséquilibres de pouvoir.
- Le/la client-e ou l’utilisateur-trice du service est celui qui détermine si les soins étaient culturellement sécuritaires.
- Il s’agit d’un processus actif et continu.
CHANGER DE PARADIGME
Une approche à l’échelle du campus
L’une des questions clés de l’intégration de la sécurité culturelle sur les campus est celle du « où ». Où vont ces pratiques, ces procédures et ces valeurs ? Pour améliorer les résultats en matière de santé mentale et le bien-être général des étudiants-es internationaux-ales, il est recommandé d’adopter une approche à l’échelle du campus. Dans cette approche, tous les membres de la communauté universitaire sont impliqués dans le soutien à la santé mentale des étudiants-es. Idéalement, les pratiques qui favorisent la santé mentale sont intégrées dans tous les aspects du campus, depuis les politiques et les programmes/services jusqu’à l’environnement d’apprentissage (c’est-à-dire la salle de classe). Une approche à l’échelle du campus implique également de supprimer les cloisonnements entre les départements et les secteurs du campus et de veiller à ce que chacun-e dispose des informations et des ressources appropriées dont il/elle a besoin pour soutenir la santé mentale des étudiants-es en fonction de son rôle sur le campus. Bien que cette tâche puisse être décourageante et qu’elle soit perpétuellement en cours, elle est extrêmement cruciale pour l’amélioration de la santé mentale et du bien-être des étudiants-es en général.
Agir : au niveau individuel
Pour progresser vers une approche à l’échelle du campus, chacun-e d’entre nous peut commencer individuellement à examiner comment il/elle peut jouer un rôle dans la culture de la sécurité culturelle. Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’une des actions clés consiste à s’engager dans une autoréflexion critique permanente. L’autoréflexion critique consiste à « …remettre en question [nos] propres préjugés, attitudes, hypothèses, stéréotypes et idées préconçues… »6 et à s’efforcer de les éliminer de nos interactions, de notre travail et de notre pratique au quotidien. Il est difficile de se tourner vers l’intérieur et de reconnaître ces parties de nous-mêmes, mais cela fait partie intégrante de ce travail et de notre succès dans la fourniture d’un soutien équitable et efficace aux étudiants internationaux-ales.
L’autoréflexion critique est importante parce que nos actions individuelles peuvent soutenir et maintenir le statu quo de nos institutions, qui sont fondées sur le colonialisme. En nous engageant dans une autoréflexion critique, nous pouvons identifier les façons dont nous maintenons des normes néfastes et commencer à travailler à la reformulation de nos pratiques afin qu’elles puissent contribuer à démanteler les obstacles à la santé mentale sur le campus.
Dans les services individuels, les pratiques culturellement sécuritaires peuvent être encouragées par la formation et l’apprentissage continu, à la fois sur les diverses cultures et sur la manière d’enquêter sur notre propre complicité à faire du mal et à maintenir des systèmes nuisibles. Selon Hechanova et Waedle, l’évaluation de la manière dont on gère ou comprend l’expression émotionnelle, la honte liée aux problèmes de santé mentale, le pouvoir entre le/la prestataire et l’utilisateur-trice du service, le collectivisme et la spiritualité peut être un bon point de départ1.
Agir : au niveau systémique
Agir au niveau systémique, c’est intégrer et exiger une formation solide et nuancée sur la sécurité culturelle, les pratiques anti-oppressives et la lutte contre le racisme, pour n’en citer que quelques-unes. Proposer ces formations à l’ensemble du personnel et du corps enseignant, quel que soit le département ou le rôle, contribue grandement à créer un environnement dans lequel l’équité et les déséquilibres de pouvoir sont au centre des préoccupations.
Un écueil fréquent dans les formations à grande échelle est que le programme reste statique au fil du temps. Il est important que le contenu et l’enseignement de cette formation restent dynamiques et qu’ils soient réévalués et améliorés régulièrement. Comme nous l’avons vu plus haut dans cet article, les discours sur les soins culturellement appropriés ont énormément évolué au cours des 20 dernières années et ils continueront à évoluer à mesure que nous ouvrirons les yeux sur les méfaits persistants du colonialisme, du racisme, de la xénophobie et d’autres formes de discrimination.
En outre, il peut être important que les établissements recueillent intentionnellement des informations pour mieux comprendre les facteurs qui influencent la recherche d’aide chez les étudiants-s internationaux-ales. Par exemple, les établissements d’enseignement postsecondaire pourraient examiner comment le niveau de confiance des étudiants-s internationaux-ales dans les praticiens-nes de la santé mentale peut être influencé par les expériences d’oppression et de colonisation. En effet, historiquement, les pratiques médicales et la recherche ont violé et opprimé les personnes de couleur au nom du progrès scientifique. En outre, la médecine occidentale a été considérée comme la « norme », tandis que d’autres conceptions du bien-être (médecine traditionnelle chinoise, médecine ayurvédique) peuvent ne pas être considérées comme des formes valables de guérison9.
Cela étant dit, la facilité d’accès est également importante pour soutenir la santé mentale et le bien-être des étudiants-s internationaux-ales. L’intégration des services de santé mentale dans les espaces de soins primaires peut permettre aux étudiants-s internationaux-ales d’explorer les services de santé mentale plus discrètement, alors que nous nous efforçons de démanteler complètement la stigmatisation8.
Intégrer la sécurité culturelle au sein des politiques est également important. Par exemple, les politiques et procédures en matière de ressources humaines devraient être conçues et/ou améliorées afin que les établissements postsecondaires puissent attirer et retenir un personnel diversifié dans le domaine de la santé mentale. Ces politiques peuvent également prévoir une introduction à la sécurité culturelle lors de l’orientation des nouveaux membres du personnel ou du corps enseignant.
Limites
Le cadre de sécurité culturelle comporte des limites et des préoccupations. Dans le cadre de nos recherches pour cet article, nous avons constaté que la sécurité culturelle et ses outils et approches connexes ont été principalement étudiés en relation avec les populations autochtones. Les articles référencés dans cet article ont principalement porté sur des recherches effectuées au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande, où les populations autochtones ont été historiquement et actuellement soumises aux processus complexes et violents du colonialisme de peuplement. À cette fin, en reconnaissant que la recherche actuelle sur la sécurité culturelle et son impact sur la santé mentale existe en grande partie dans le contexte de l’indigénéité et du colonialisme de peuplement, des recherches spécifiques doivent être menées pour déterminer si la sécurité culturelle est efficace pour améliorer la santé mentale et le bien-être des étudiants-es internationaux-ales qui étudient au Canada.
Cependant, la sécurité culturelle développée en réponse au colonialisme de peuplement n’est pas entièrement séparée du contexte des étudiants-es internationaux-ales, car beaucoup de ceux et celles qui viennent étudier au Canada sont originaires de régions qui ont été touchées par le colonialisme de peuplement. Dans certains cas, cela a directement ou indirectement créé une situation dans laquelle ils et elles doivent aller à l’étranger pour chercher une éducation et des opportunités. Certains-es étudiants-es internationaux-ales sont donc doublement touchés par le colonialisme, à la fois dans leur pays d’origine et au Canada.
En outre, une approche à l’échelle du campus implique la reconnaissance et peut-être le démantèlement de structures de pouvoir profondément enracinées. Ce processus est difficile et nécessite l’adhésion de ceux et celles qui bénéficient directement ou indirectement des privilèges de ces systèmes. Il implique également le processus inconfortable et parfois douloureux de la reconnaissance de notre rôle personnel dans l’apparition de préjudices.
Pleins feux sur la sécurité culturelle
Les exemples suivants montrent comment l’introduction de la sécurité culturelle dans la communauté peut améliorer les résultats en matière de santé et de santé mentale pour les utilisateurs-trices des services.
Mindfully Muslim – Dr. Yusra Ahmad1 (Musulman-e conscient-e – Dre Yusra Ahmad)
La Dre Yusra Ahmad, psychiatre à l’université de Toronto et fondatrice du programme de groupe Mindfully Muslim, a adopté une approche unique pour soutenir les nouveaux arrivants. Alors que la plupart des programmes thérapeutiques sont laïques et n’intègrent pas la religion ou la spiritualité, la Dre Ahmad a créé un programme qui propose des interventions basées sur la pleine conscience et qui entremêlent la sagesse, les enseignements et l’imagerie islamiques. Proposé dans une mosquée, ce programme reconnaît l’identité du/de la participant-e comme faisant partie du processus de rétablissement. Grâce à ce programme, la Dre Ahmad a eu un impact considérable sur la communauté musulmane des nouveaux arrivants.
Community Health Fair – Black Medical Students’ Association2 (Salon de la santé communautaire – Association des étudiants-es en médecine noirs-es)
Lorsque l’association des étudiants-es en médecine noirs-es de l’université de l’Alberta a remarqué que les communautés mal desservies ne cherchaient pas activement à obtenir un soutien en matière de santé, elle a commencé à organiser des salons de santé communautaire pour apporter des soins de santé à la communauté, dans un cadre plus décontracté et non clinique. Les salons de santé communautaire comprenaient des services de dépistage du cancer, des stands de dentisterie et différents types de médecins. Les membres de la communauté ont ainsi pu accéder à des soins de santé et à des informations cruciales. En reconnaissant que les utilisateurs-trices de services ne chercheront pas toujours à obtenir le soutien dont ils et elles ont besoin pour diverses raisons, notamment le degré de sécurité culturelle et d’intégration des établissements de soins de santé, l’association a pu fournir des soins à des utilisateurs-trices de services qui, autrement, seraient restés-es mal desservis.
Cultural Safety: The Professional Portfolio – Schulich Medicine & Dentistry, Western University3 (Sécurité culturelle : le portefeuille professionnel – Schulich Medicine & Dentistry, Université Western)
Les étudiants-es inscrits-es au programme de médecine de premier cycle de l’Université Western ont la possibilité de s’engager avec des mentors dans le cadre d’un programme de mentorat d’un an au cours de leurs 3 premières années d’études. Le mentorat est ancré dans la sécurité culturelle et a pour objectif spécifique d’aider les étudiants-es à mieux comprendre leurs « hypothèses sous-jacentes et de faciliter la prise de conscience d’autres perspectives »12. Le programme aide également les étudiants-es à apprendre les principes des soins culturellement compétents, l’importance de répondre aux besoins en soins de santé des populations mal desservies, et à reconnaître l’omniprésence des disparités en matière de soins de santé.
CONCLUSION
Les étudiants-es internationaux-ales constituent une population vulnérable qui a besoin d’un soutien continu, notamment en raison de la nature turbulente et stimulante de cette phase de leur vie. Soutenir leur santé mentale en intégrant la sécurité culturelle est un moyen fondamental et important de reconnaître la dynamique de pouvoir inhérente aux soins de santé mentale et aux expériences globales des étudiants-es internationaux-ales dans les espaces postsecondaires. Mettre l’accent sur la sécurité culturelle ne profitera pas seulement aux étudiants-es internationaux-ales en les soutenant pleinement et en leur rendant les services accessibles, mais aussi à l’ensemble du campus à mesure que les besoins des divers étudiants-es et du personnel évoluent.