Identités intersectionnelles et obstacles supplémentaires

« L’intersectionnalité est une lentille à travers laquelle vous pouvez voir d’où le pouvoir vient et où il se heurte, où il s’imbrique et se croise. » – Kimberlé Crenshaw

Selon l’Organisation mondiale de la santé, les déterminants sociaux de la santé sont les facteurs non médicaux qui ont un impact sur la santé d’un individu. L’Organisation mondiale de la santé souligne l’impact des inégalités en matière de santé sur les déterminants sociaux de la santé – le logement, la sécurité alimentaire, la discrimination et le racisme, et l’accès à des services médicaux adéquats, entre autres facteurs. Des études ont montré que les déterminants sociaux de la santé sont souvent à l’origine de 30 à 55 % des impacts sur la santé, ce qui suggère qu’ils peuvent être plus importants que certains autres facteurs de santé sociétaux et individuels (Organisation mondiale de la santé, 2022).

Cette section de la boîte d’outils examinera comment les déterminants sociaux de la santé sont influencés par les expériences uniques des identités marginalisées sous l’égide plus large 2SLGBTQ+.

Expériences queer autochtones

« Le colonialisme est un processus qui a une longue histoire, et les services et valeurs en matière de santé mentale au Canada ont été informés par les fondements coloniaux de la nation (Nelson, 2012). »

L’héritage du colonialisme et la colonisation des peuples autochtones au Canada ne peuvent être ignorés en tant que facteur profondément enraciné de la santé mentale des Autochtones aujourd’hui (Nelson, 2012 ; Lavallee & Poole, 2009) et a été reconnu par certains-es comme la source d’une forme collective de traumatisme historique et de trouble de stress post-traumatique (SSPT) (Robertson, 2015). Il est important de reconnaître l’impact néfaste de l’oppression continue et des inégalités sociétales sur les déterminants sociaux de la santé autochtone, et la façon dont ils peuvent à leur tour créer plus de défis et d’obstacles à d’autres déterminants de la santé (Nelson, 2012). Les répondants-es autochtones à une enquête de 2019 de Statistique Canada sur l’orientation sexuelle et la santé mentale ont fait part de probabilités de santé mentale complète[1]La santé mentale complète est décrite comme le fait d’avoir une santé mentale florissante et d’être libre de tout problème de santé mentale (Gilmour, 2019). significativement plus faibles par rapport aux Canadiens-nes blancs-ches dans les modèles non ajustés (Gilmour, 2019).

L’histoire coloniale de la santé mentale contribue non seulement à l’iniquité des perceptions et des compréhensions de la santé mentale des peuples autochtones (Nelson, 2012), mais a également encadré et « expliqué » les identités autochtones queer d’une manière qui n’était ni applicable, ni exacte aux nombreuses expressions culturelles de la fluidité sexuelle et de genre autochtone.

Pour mieux comprendre l’impact plus large du colonialisme sur la santé mentale, veuillez lire la boîte d’outils La pratique anti-oppressive, deuxième partie (à venir).

Indigénéité queer

Le terme « Two-Spirit » (ou bispirituel) a été proposé par Myra Laramee en 1990 lors de la troisième conférence annuelle de la Intertribal Native American, First Nations, Gay and Lesbian American Conference. Le terme est dérivé du terme Anisnaabemowin « niizh manidoowag », qui signifie deux esprits (Filice, 2018 ; Fewster, 2018), et a été adopté comme terme d’autoidentification et pour remplacer les termes coloniaux offensants utilisés auparavant pour définir les personnes autochtones queer et non-conformes au genre (O’brien, 2009). Bien que le terme soit souvent utilisé par certaines personnes autochtones pour représenter leur identité, qu’elle soit spirituelle, sexuelle et/ou de genre (Filice, 2018 ; Santé arc-en ciel Ontario, 2016), il est important de noter que les définitions de bispiritualité peuvent varier d’une nation à l’autre, et que le terme n’est pas utilisé par toutes les personnes queer autochtones pour s’identifier (Santé arc-en ciel Ontario, 2016). De nombreuses personnes queer autochtones peuvent s’identifier et s’identifient à d’autres identités queer, en plus ou à la place de bispirituel.

Expériences des étudiants-es queer racialisés-es

L’antiracisme est « un processus de changement actif et cohérent visant à éliminer le racisme individuel, institutionnel et systémique » (Centre de recherche sur les libertés civiles de l’Alberta, 2021).

Le Centre de recherche sur les libertés civiles de l’Alberta (2021) a développé sa définition du processus d’antiracisme en soulignant qu’il s’agit de s’attaquer aux structures (individuelles et structurelles) qui maintiennent les déséquilibres de pouvoir engendrés par le racisme et les préjugés raciaux. Bien que la majorité des Canadiens-nes de tous âges conviennent que le racisme est un problème grave (Bricker, 2020), un sondage IPSOS de 2020 a montré que 40 % des Canadiens-nes considèrent le racisme comme un problème américain (Bricker, 2020 ; Burke et al., 2021).

Bien que la société canadienne mette l’accent sur son multiculturalisme, le racisme et la discrimination systémiques continuent d’avoir un impact négatif sur la vie des personnes racialisées (Cotter, 2022). Dans son article pour Statistique Canada, Cotter (2022) reconnaît la nature omniprésente de la discrimination raciale et de la violence fondée sur la race, et leur capacité à avoir un impact non seulement sur la personne qui subit le racisme, mais aussi sur les communautés plus larges auxquelles elle appartient.

L’appréciation des intersections d’identités se fait en reconnaissant que les humains appréhendent le monde à travers les perspectives de ces identités multiples, pleinement et simultanément. Cela permet de mieux apprécier les nuances des expériences racialisées – il n’existe pas d’expérience universelle. Travailler à démanteler les récits qui confondent injustement les expériences de toutes les personnes racialisées fait partie intégrante d’une meilleure compréhension de ces expériences (Whitfield et al., 2014 ; Burke et al., 2021 ; Lawson, 2020 ; Gajaria et al., 2021).

Racisme et santé mentale

Un rapport de 2016 de la Commission de la santé mentale du Canada a montré que 20 % de la population s’identifiait comme membre d’un groupe racialisé, dont la majorité s’identifie comme sud-asiatique (Mckenzie et al., 2016). Mais malgré l’augmentation de la population, il existe toujours des preuves d’une augmentation des impacts négatifs en matière de santé mentale et physique chez les personnes racialisées (Mckenzie et al., 2016), ce qui, selon certains-es, pourrait être dû en partie à la discrimination et au racisme ancrés dans les systèmes de soins de santé (Whitfield et al., 2014). L’exposition à des facteurs de stress tels que les attentes culturelles et le racisme fait partie des facteurs qui peuvent avoir un impact négatif sur la santé mentale des personnes queer racialisées, et les réponses dédaigneuses des personnes dans un rôle de soutien peuvent entraîner une diminution des actions de recherche d’aide pour résoudre leurs problèmes de santé mentale (Whitfield et al., 2014 ; Mckenzie et al., 2016 ; Gajaria et al., 2021).

*Pour plus d’informations sur l’impact de la culture sur la santé mentale, consultez la fiche d’information du CISMC sur le sujet.

Lorsque l’on examine les expériences intersectionnelles des personnes queer racialisées, la recherche a montré que les personnes queer de couleur portent de multiples identités marginalisées et sont souvent victimes de racisme dans les communautés queer et de queerphobie dans les communautés racialisées (Veldhuis, 2022 ; Whitfield et al., 2014). Bien que les Canadiens-nes LGBTQ+ (19-40 %) soient plus susceptibles que les Canadiens-nes hétérosexuels-les (11 %) de recevoir un diagnostic de troubles de l’humeur ou d’anxiété (Gouvernement du Canada, 2019 ; Woodford et al., 2019), ces statistiques ne parlent pas des différences de prévalence des problèmes de santé mentale qui existent entre les diverses personnes queer racialisées et leurs pairs-es blancs-hes.

Les chercheurs-ses ont constaté que l’addition des facteurs de stress social auxquels les personnes queer racialisées sont confrontées contribue à des cas de dépression et à des taux d’idées suicidaires plus élevés que ceux de leurs homologues queer blancs-hes (Whitfield et coll., 2014 ; Santé arc en ciel Ontario, 2013). Les personnes racialisées, plus précisément celles qui s’identifient comme étant noires, sud-asiatiques et est-asiatiques – japonaises, chinoises et coréennes, étaient respectivement 60 %, 85 % et 74 % moins susceptibles de demander un soutien en santé mentale que les Canadiens-nes blancs-hes (Mckenzie et coll., 2016). Bien que les cas d’accès au soutien soient plus faibles, lorsqu’elles demandent un soutien en santé mentale, les personnes racialisées sont plus susceptibles de voir leurs expériences de discrimination raciale ignorées par les prestataires de santé mentale (Gajaria et al., 2021).

Les pourcentages fournis proviennent de Statistique Canada, qui a limité ses données aux lesbiennes, aux gays et aux hommes et femmes bisexuels-les. Les personnes qui ne s’identifiaient pas de cette manière ont été exclues de la recherche.

Lorsque l’on examine la santé mentale et les expériences des personnes racialisées et celles des communautés queer au sens large, les défis qui existent à l’intersection de l’identité raciale et de l’identité queer deviennent plus clairs. Pour s’attaquer à ces obstacles et à ces défis, il faut examiner le rôle que jouent les prestataires de santé mentale dans la perpétuation du racisme, des préjugés raciaux et des préjugés qui ont un impact négatif sur les perceptions de sécurité dans la recherche de soins. La résolution des problèmes de représentation dans les services de santé mentale peut contribuer à instaurer la confiance chez les étudiants-es queer racialisés-es qui cherchent du soutien en faisant appel à des professionnels-les qui sont plus susceptibles d’éprouver de l’empathie ou de s’identifier à leurs expériences (Commission de la santé mentale du Canada, 2021).

Identité queer et handicap

« Il n’existe pas de lutte à enjeu unique car nous ne vivons pas des vies à enjeu unique. » – Audre Lorde

Lorsque l’on examine l’intersection des identités queer, il est important de ne pas reproduire les modèles qui minimisent l’impact du handicap. Comme le souligne la citation ci-dessus, les personnes queer sont souvent confrontées à de multiples défis simultanément, et des facteurs supplémentaires tels que la manifestation du handicap, la visibilité/invisibilité du handicap et d’autres marqueurs d’identité auront tous un impact sur la façon dont ces intersections sont appréhendées.

Quelques études se sont penchées sur les perceptions externes du handicap et de la santé mentale et sur la manière dont elles influent sur la vie des étudiants-es au niveau postsecondaire. En 2015, Gonzales et al. ont identifié 5 thèmes dans les types de comportements dédaigneux et agressifs subis par les personnes ayant des problèmes de santé mentale. Ces comportements étaient l’invalidation et la condescendance, la supposition d’infériorité et le manque de pouvoir, la peur que la maladie mentale rende la personne dangereuse, la honte et enfin la citoyenneté de seconde classe (Miller & Smith, 2020). Grâce à leurs recherches, ils ont pu identifier d’autres thèmes, dont certains recoupent les expériences notées par les participants-es à l’étude de Miller et Smith, et d’autres qui ont été rapportés de manière unique par leurs participants-es. Ces domaines uniques étaient le déni d’identité, le déni de vie privée, l’impuissance et la désexualisation (Miller & Smith, 2020).

Handicap sur le campus

Les intersections de l’identité 2SLGBTQ+ et du handicap présentent une autre zone de chevauchement où les expériences d’oppression et les barrières sociétales et structurelles peuvent s’exacerber. Les participants-es à l’étude de Miller et Smith (2020) ont noté que le manque de visibilité de leurs handicaps et les privilèges que leur confèrent certaines de leurs autres identités ont pu les protéger de certaines expériences de discrimination sur le campus.

Un autre défi présent sur le campus pour les étudiants-es 2SLGBTQ+ en situation d’handicap est l’attitude des professeurs-es, qui peut avoir un impact profond sur la réussite des étudiants-es (Freer & Kaefer, 2021). Bien qu’en Ontario, la connaissance de la Loi sur l’accessibilité pour les personnes handicapées de l’Ontario (LAPHO) soit obligatoire et qu’elle établisse une connaissance fondamentale cohérente chez les professeurs-es au niveau postsecondaire, la recherche a montré qu’il peut y avoir des incohérences entre les attitudes et les actions (Freer & Kaefer, 2021). La recherche menée par Sniatecki et ses collègues (2015) a montré que les gens ont tendance à avoir des attitudes plus positives envers les handicaps visibles qu’envers les handicaps invisibles (Freer & Kaefer, 2021). Les obstacles potentiels qui existent pour les étudiants-es 2SLGBTQ+ ayant des handicaps invisibles ou inégalement visibles peuvent être aggravés s’ils et elles sont déjà moins susceptibles de chercher un soutien sur le campus.

Expériences trans* et de genre divers

« It is revolutionary for any trans person to choose to be seen and visible in a world that tells us we should not exist.” — Laverne Cox

Selon Statistique Canada (2022), l’Ontario abrite environ 39 % de la population trans* du Canada, bien que certains militants-es de la cause soutiennent que le nombre réel pourrait être plus élevé en raison de la réticence de certains-es à divulguer leur identité et de l’aversion que suscitent la formulation et la méthode de collecte (Spectrum et Wisdom2Action, 2021 ; Statistique Canada, 2022). De nombreux progrès ont été réalisés pour affirmer les droits et la sécurité des personnes trans* dans le droit canadien, mais il est important de reconnaître les obstacles et la violence auxquels les personnes trans* continuent de faire face, et leurs impacts sur la santé mentale et le bien-être de ces communautés.

À l’instar des conclusions de Statistique Canada, les personnes trans* déclarent subir plus de harcèlement verbal, de harcèlement physique et de détresse psychologique que leurs pairs-es cisgenres sur les campus d’enseignement postsecondaire (Taylor et al., 2020 ; Goldberg, 2018). La recherche a révélé que les étudiants-es trans* ont tendance à avoir moins de perceptions positives de leurs environnements postsecondaires par rapport à leurs pairs-es LGBTQ cisgenres (Taylor et al., 2020 ; Goldberg, 2018, Woodford et al., 2019). Les expériences de discrimination, de violence et de harcèlement sur le campus contribuent non seulement à une plus faible estime de soi et à de mauvais résultats en matière de santé mentale pour les étudiants-es trans* (Taylor et al., 2020), mais la recherche a également révélé que les étudiants-es trans* qui ont subi des actes de victimisation sur le campus étaient trois fois plus susceptibles d’envisager de quitter leur établissement (Woodford et al., 2022 ; Goldberg, 2018).

Les campus d’enseignement postsecondaire ont le potentiel d’agir comme des facteurs atténuants ou des obstacles à la santé mentale et au bien-être des étudiants-es trans* (Goldberg, 2018 ; Laidlaw, 2020). Bien que les cas de conflits interpersonnels (isolement, intimidation, harcèlement, etc.) contribuent grandement à des résultats négatifs en matière de santé mentale pour les étudiants-es trans* sur le campus (Taylor et al., 2020), il en va de même pour les obstacles structurels (Goldberg, 2018) qui soutiennent la cisnormativité et renforcent la stigmatisation antitrans*.

*Pour savoir pourquoi nous utilisons un astérisque, voir l’entrée du glossaire ici.

Obstacles à l’accès

La stigmatisation et le sentiment anti-trans* ont une longue histoire sur les campus d’enseignement postsecondaire, et bien que les établissements soient tenus de se conformer aux lois anti-discrimination, de nombreux étudiants-es trans* choisissent de ne pas utiliser certaines ressources du campus, de ne pas participer à des activités ou de ne pas accéder à des services par peur de la violence, de l’inconfort ou de la discrimination (Laidlaw, 2020 ; Spectrum & Wisdom2Action, 2021).

Des études ont montré que la « police du genre » continue d’être une forme manifeste de discrimination, qui voit les étudiants-es trans* se voir refuser l’accès aux salles de bain, aux vestiaires des gymnases et, dans certains cas, à des logements étudiants appropriés (Laidlaw, 2020 ; Goldberg, 2018). La fréquence des microagressions antitrans* a été liée à des résultats scolaires négatifs, et le refus d’accès aux espaces d’affirmation du genre tels que les salles de bain, les vestiaires et les logements a été associé à des risques plus élevés de suicidalité chez les étudiants-es trans* de niveau postsecondaire (Goldberg, 2018).

Certaines données suggèrent que les personnes trans* constituent l’une des populations les plus mal desservies sur le plan médical au Canada, 48,9 % des répondants-es à une étude sur les soins de santé des personnes trans* en Ontario ayant déclaré avoir eu au moins un besoin de santé non satisfait l’année précédente (Giblon et Bauer, 2017). De nombreux prestataires de soins de santé ne connaissent pas les pratiques et procédures communément souhaitées ou requises pour soutenir la santé physique et mentale des personnes trans*. La recherche a montré que de nombreuses personnes trans* en Ontario évitent activement de chercher à obtenir des soins médicaux par crainte des sentiments antitrans, du refus de soins de santé et du contrôle médical, qui sont des obstacles courants auxquels sont confrontées les personnes trans* (Giblon et Bauer, 2017 ; Spectrum et Wisdom2Action, 2021).

L’état de santé mentale est un autre domaine dans lequel les personnes trans* connaissent des taux plus élevés de défis et de diagnostics que leurs pairs-es LGBT et hétérosexuels-les cisgenres (Veale et al., 2017 ; Taylor et al., 2020 ; Woodford et al., 2019). De nombreuses études ont montré que les étudiants-es trans* sont plus susceptibles de signaler des sentiments de dépression, des idées suicidaires et des sentiments d’accablement, ainsi que d’être diagnostiqués-es avec des troubles alimentaires que les étudiants-es cisgenres (Goldberg, 2018 ; Woodford et al., 2019 ; Spectrum & Wisdom2Action, 2021). Tout comme les autres identités mises en évidence dans cette section, les expériences de discrimination des étudiants-es 2SLGBTQ+ peuvent être exacerbées ou atténuées par leurs autres identités croisées (Woodford et al., 2016 ; Miller & Smith, 2020), mais peuvent également être influencées par le climat du campus, le manque de soutien du personnel et du corps enseignant, et les attitudes réticentes à l’égard du démantèlement de la stigmatisation transphobe (Woodford et al., 2016 ; Goldberg, 2018 ; Laidlaw, 2020).

References

References
1La santé mentale complète est décrite comme le fait d’avoir une santé mentale florissante et d’être libre de tout problème de santé mentale (Gilmour, 2019).
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